PAYSAGE MOBILE
MAÏLE PATEA
Il y a des choses qui marquent lors d’une première
rencontre. Pour s’en défaire on s’essaye à créer des formes, des images
fallacieuses à partir d’IA pour voir ce que l’indétermination peut produire,
provoquer et changer dans ces impressions. Les générations texte-image,
image-image et texte+image-video ont mis en évidence que l’IA reproduit
constamment un élément saillant de l’image ou du prompt de référence. Se pose
alors la question de ce qui est identifiable et du rôle d’amer que peuvent
avoir ces caractéristiques pour l’IA. La recherche menée tend vers une forme
d’esthétique, vers quelque chose de l’ordre du précieux.
Arrivée sur site,
La première chose qui me frappe ce sont les
brise-lames
Par leur masse
Leur aspect
Les années qui les habillent
La seconde c’est la mer
Une étendue d’eau
Celle autour de laquelle on construit, on gravite, on
navigue
Et puis il y a ces plots de béton à Lanvéoc
Lourds
Ordonnés
Parfois même alignés
Alors me voilà à dessiner des trames, des
alignements
Tout cela afin de
Révéler
Souligner
Assombrir
Occulter
Des portions du paysage
À chercher ce que pourrait être cet objet flottant
Celui qui viendrait remplacer les brise-lames...
Alignements et moirés
Oxymores et sériations
En partant de Lanvéoc, si
l’on se dirige vers l’Est
On tend vers l’école
navale
La rue du Poulmic
Courbe
Mène au lieu-dit
Kertanguy
Auquel succèderont Penzer
et Kerguéron
Nichée après les derniers
établissements humains
Après la végétation
luxuriante et épaisse
Au bout d’un sentier
tortueux,
La mer apparaît
Les coordonnées GPS indiquent
Pen Ar Vir
Traduit du breton « la
pointe à virer »
Cette appellation
intrigue par sa simplicité
Elle énonce le rôle
d’amer qu’a la pointe pour les marins
C’est en ce lieu, ou
plutôt par sa présence dans leur champ de vision
Qu’ils peuvent déterminer
la manœuvre à opérer
Dans ce cas-ci, quand
virer
A tribord ou à bâbord
Chose plus étrange
encore, une structure y a été érigée
Pour y faire…
On ne sait quoi
Alors, s’approchant de
l’édifice
On commence l’ascension
qui
Arrivé en haut des
marches ne mène…
Nulle part
Nulle part d’autre que sur
la vue, son cadrage
Prenant de la hauteur,
On aperçoit désormais une
masse,
Peut-être des objets,
Qui dessinent des formes
sur l’eau
Le motif apparent suit le
rythme paisible des vagues
En arrivant par l’entrée
principale de l’école navale de Lanvéoc,
Si l’on suit la route
bitumée,
Un parking fait face à
l’ancien réfectoire
Il faut alors dépasser ce
futur ancien bâtiment pour rejoindre la rangée d’arbres
Alignés,
Ils habillent fièrement
le sommet du talus qui sépare la partie haute des infrastructures en contre-bas
L’on devine l’horizon et
la mer s’esquisser derrière la cime des arbres
Une structure
Similaire à celle
présente à Pen Ar Vir
Pointe le bout de son nez
entre les feuillages
Cette fois-ci encore, une
vue est mise en avant
Différente, elle raconte
autre chose
Il est dorénavant
possible de distinguer une multitude de petits objets
Qui viendraient comme
« parer » l’étendue d’eau
Ces tâches de faible
hauteur n’empêchent pas la lecture du paysage qui se profile derrière
Une fois le talus descendu,
le gymnase dépassé, le bâtiment Orion contourné
On accède à la place
d’armes
Un élément notable
apparait :
Une nouvelle structure
Celle-ci, ne s’élève pas
comme les autres
Proche du sol
Elle met en évidence un
alignement
On comprend alors que les
objets non identifiés jusqu’alors se révèlent être des pierres
Des blocs de granit même
Étonnant spectacle que de
voir des rochers flotter !
Plus étonnant encore, il
semblerait que ces rochers soient là pour protéger quelque chose
Des vagues, de la houle,
des gens ?
Mais que protègent-ils
donc ?
Promenant le regard, il
semblerait qu’ils convergent tous dans une même direction :
La chapelle !
Au lieu des épaves de navires, surgissent des pierres
flottantes.
Le projet répond à une commande claire :
remplacer les anciens brise-lames du port militaire de l’École navale de
Lanvéoc, situé sur la rade de Brest. Partiellement protégé par la baie, ce port
requiert une alternative technique et sensible pour se défendre de la houle.
Ce qui marque d’abord, c’est la présence massive des
anciens brise-lames. Leur forme, leur ancrage, leur charge visuelle ont laissé
une forte impression. Le projet en reprend l’essence : faire flotter une masse.
Cette intuition structure l’ensemble des recherches — géométriques,
matérielles, techniques et paysagères.
Chaque module flottant est composé d’un bloc de granit
(Ø 1,3 m, h. 0,7 m), matériau robuste et historiquement lié au territoire :
menhirs, remparts, quais militaires. Il résiste aux agressions marines et
conserve sa forme dans le temps. Ce bloc est fixé sur une demi-sphère d’inox
renfermant un réservoir d’air : une jupe immergée de 1,5 m crée une poussée
d’Archimède suffisante pour porter le granit. Le système est renforcé par une
plaque de répartition, des ancrages au sol et des câbles souples, permettant
une disposition en réseau quinconces, dissipant l’énergie de la houle.
Au-delà de la fonction, le projet assume
une précieuse étrangeté. Comme des balises, ces pierres flottantes tracent des
alignements — structures sans fonction apparente si ce n’est d’ouvrir des vues,
de souligner un point de fuite. À l’échelle du paysage, elles offrent aux
étudiants une nouvelle lecture de l’horizon.
Protéger, oui — mais par une présence silencieuse,
sculpturale, presque cérémonielle. Une préciosité quelconque, née de la
rencontre entre robustesse et poésie.